Mario Cabral chantait à tue-tête dans son taxi. Pour une fois, la journée ne s’annonçait pas trop mal, il avait réussi à obtenir quelques courses intéressantes et transporté vers l’aéroport un couple de passagers qui avaient été assez généreux pour lui redonner le sourire.

Il avait commencé la maraude peu après midi, puis avait fait une pause vers dix-huit heures. Après ça la soirée avait été longue et malgré la sieste, il ressentait la fatigue et craignait de s’endormir au volant. C’est pourquoi ses chants prenaient plutôt la forme de cris stridents. On aurait dit un hincha en train de soutenir son équipe de Boca Junior. Il hurlait en écoutant la radio, ponctuant sa conduite de mouvements de danse sur son siège qui servaient autant à exprimer sa bonne humeur qu’à se dégourdir les jambes ankylosées par les heures de conduite.

Il était relativement joyeux car on sentait enfin la reprise après la crise politique et sociale qui avait suivi les douze mois de confinement imposés à la population argentine, un record mondial, pour faire face à la progression galopante de la pandémie de Covid-19.

C’est qu’il était temps. Au chômage et sans le sou, Mario avait vu son couple exploser et s’était retrouvé à la rue. Il avait subi avec humiliation son retour forcé au domicile de ses parents. Malgré leur affection, retrouver « sa chambre » était une torture psychologique et recevoir de l’argent de leur part un insupportable symbole de son échec. Heureusement, après des mois de recherche, et là encore grâce à l’appui d’un ami de la famille, il avait pu obtenir ce poste de chauffeur de taxi.

L’écran de son smartphone s’éclaira subitement, il plongea littéralement dessus, tous doigts brandis, afin d’être le premier à obtenir la course qui était proposée par l’application des chauffeurs de Buenos Aires, BA Taxi, qui avait été mise en place pour faire face à la concurrence de Uber et à ses bras tentaculaires qui se déployaient en l’Amérique latine en toute illégalité mais avec une efficacité redoutable.

Raté ! Un collègue, tournant lui aussi à cette heure tardive, fut plus prompt que lui. Mario pesta brièvement mais il connaissait la règle du jeu. Il savait bien que les taxis qui restaient à l’arrêt, le smartphone en main et l’appli sous les yeux, avaient un avantage, sous réserve de ne pas être trop éloignés de la zone dont provenait la demande de course. Mais Mario préférait poursuivre sa ronde ininterrompue dans les rues de la ville. Il savait pertinemment que s’il venait à stationner il ne tarderait pas à s’endormir.

 

Jorgi Manara déboucha sur l’Avenue Rivadavia par la Rue Rincón, pile devant la porte du Café de los Angelitos. Son ancienne planque se trouvait pratiquement en face, deux immeubles plus haut dans la rue, côté pair. Machinalement, il consulta sa montre. Quatre heures vingt. Autrefois, à cette heure avancée de la nuit, la ville était plongée dans l’ombre. Les choses avaient commencé à changer en 2013, lorsque la mairie avait mis en place un plan de remplacement de tous les éclairages publics par des diodes électroluminescentes. En 2019, Buenos Aires put annoncer avec fierté qu’elle était la première grande métropole d’Amérique du Sud à disposer d’un éclairage urbain 100 % LED. C’était peu pratique pour les gens qui, comme lui ce soir, souhaitaient se déplacer discrètement.

Alors que par réflexe il essayait de déterminer où se trouvaient les caméras, son regard fit le tour du carrefour. Il aperçut alors les deux sans-abris qu’il avait repérés la veille à peu près à la même heure devant le sas d’entrée de la banque, à l’emplacement des distributeurs automatiques. L’un était affalé sur un carton posé à même le trottoir, à demi assoupi, l’autre se tenait debout devant lui, lui tournant le dos, et fumait une cigarette. Celui qui dormait par terre avait la tête qui tombait sur sa poitrine et il portait une casquette.

S’ils paraissaient parfaitement inoffensifs, Manara n’avait plus l’ombre d’un doute. Ces deux gars n’étaient pas là par hasard. Ils faisaient le guet devant ce qu’ils prenaient encore pour son point de chute. Vu leur état, ils n’étaient sûrement pas en mesure de lui échapper. En revanche, il fallait qu’il réussisse à les faire parler, ce qui était toujours difficile avec des poivrots. Mais c’était sa seule chance de trouver qui le faisait surveiller depuis son arrivée à Buenos Aires.

Il décida de tenter le coup et s’approcha des deux gars. En traversant la rue, il interpella de loin celui qui était réveillé et, espérait-il, lucide.

Hé ! Je voudrais te parler deux minutes !

L’homme auquel il s’adressait, un peu dans les vapes, ne le vit pas tout de suite. Alors que Manara n’était plus qu’à une vingtaine de mètres de lui, il écarquilla les yeux en le dévisageant, comme s’il le reconnaissait, laissa tomber son mégot et opéra un demi-tour express avant de partir à toute vitesse dans la direction opposée.

Oh ! Arrête-toi, je ne te veux aucun mal ! J’ai juste besoin d’une info.

Manara accéléra le pas mais son homme semblait avoir le diable à ses trousses. Jorgi ne doutait pas qu’il le rattraperait sans effort mais il ne voulait pas le poursuivre en courant sous l’œil des caméras vidéo. Il se contenta de forcer l’allure, tout en restant le plus naturel possible. Ce n’était pas du tout le cas de l’autre gars. Il râlait et ahanait, à cours de rythme et de vitalité, mais il essayait de toutes ses forces d’échapper à son poursuivant.

Manara n’était plus qu’à quelques mètres du pauvre bougre qui suait sang et eau. Ils étaient maintenant un carrefour plus loin, à la hauteur du fast-food, à l’angle de Rivadavia et de la Rue Pasco. Le clochard devait sentir le souffle de Jorgi dans son dos. Subitement, il se retourna alors qu’ils n’étaient plus séparés que de quatre ou cinq mètres. La voix rauque, il s’adressa à Manara :

Non ! Je n’ai rien fait ! Je ne sais rien !

Tandis qu’il s’adressait ainsi à un Manara perplexe, il reculait lentement, d’un pas hésitant, les mains tendues devant lui, en un geste un peu désespéré pour essayer de repousser le moment où Manara le rattraperait. Voyant que cela était impossible, il fit une nouvelle fois volte-face et partit de nouveau en courant après avoir rassemblé ses dernières forces. Ce furent effectivement les dernières.

 

Le choc fut d’une violence inouïe. Bruit de tôle et cri de douleur insoutenable se mêlèrent lorsque le taxi de Mario déboucha de la Rue Pasco et emporta avec lui le malheureux. Le taxi, qui venait d’obtenir une course, visage éclairé par l’aubaine, était en pleine accélération, conscient qu’un collègue peu scrupuleux pourrait avoir entendu le message de la centrale et n’hésiterait pas à lui voler son client. Il appuya sur le champignon, certain qu’il n’y avait pas un chat dans les rues de la ville à cette heure-là. Pas un chat, certes, mais un piéton, hélas !

Manara fit un bond en arrière et s’arrêta net, sa tête se révulsa et son torse se cabra en arrière comme pour éviter l’onde de choc et la vision d’horreur du corps du sans-abri qui vint se ficher contre le bord du trottoir. Le crissement des freins fut bien trop tardif et Mario Cabral immobilisa son taxi au milieu de l’Avenue, effectivement déserte, comme il l’avait pressenti, à ceci près qu’il avait shooté un SDF. Mario garda les mains pendant de longues secondes sur le volant, hébété. Il ne réalisait pas vraiment ce qui s’était passé, mais il comprenait peu à peu que sa vie venait de basculer.

Manara fit quelques pas vers la victime. Le malheureux n’avait pas eu le temps de souffrir. Il avait été tué sur le coup, son corps était disloqué et son âme serait figée à jamais sur la vision de ce poursuivant qui se rapprochait inexorablement de lui et qu’il tentait en vain de fuir, comme dans le plus horrible des cauchemars, lorsque vos membres s’engourdissent et vous empêchent de progresser alors que le danger se fait de plus en plus prégnant.

Il fallait agir vite. Le chauffeur sortirait bientôt de son apathie et appellerait à l’aide, la police ou plus probablement la centrale d’appel des taxis. Manara ne pouvait pas se permettre un contrôle d’identité à quatre heures du matin sur les lieux de l’accident. Il jeta un coup d’œil vers l’entrée de la banque. L’autre sans-abri avait été tiré de sa torpeur par le bruit et il s’approchait d’un pas lourd et incertain.

Manara n’avait plus rien à faire ici. Il fila à contresens dans la Rue Pasco, remontant le parcours que venait d’emprunter le taxi, puis il tourna à gauche. À l’autre angle de rue, il tourna de nouveau à gauche. Il allait déboucher devant le Café de los Angelitos et l’antre des clochards, mais c’était un risque à prendre. Il voulait savoir ce qui allait se passer, persuadé que les clochards l’avaient espionné. Pour ça, ironie du sort, il devait se planquer de nouveau dans l’appartement qu’il avait abandonné quelques heures plus tôt lorsqu’il avait pressenti que quelqu’un le surveillait.

Lorsqu’il arriva à l’angle de la rue, il vit que le deuxième clochard était en train de parler avec le chauffeur de taxi, lequel poussait des hurlements de colère et de douleur, les mains sur la tête, s’arrachant les cheveux en tournant comme un lion enragé autour du cadavre. Jorgi mit à profit cette diversion pour entrer dans l’immeuble et monter silencieusement les étages.

Il avait bien calculé. De la fenêtre, il pouvait voir tout ce qui se passait dans la rue, depuis Rincón jusqu’à Pasco et même un peu plus loin. Le chauffeur de taxi et le SDF ne parlaient plus ensemble. Le taxi était retourné à son véhicule et tapotait nerveusement sur l’écran de son smartphone, probablement en train de passer un appel.

Manara ne savait pas trop ce qu’il gagnait à rester là et à attendre. Les idées tourbillonnaient dans sa tête maintenant qu’il avait trouvé un abri et qu’il pouvait penser avant d’agir. Lui, cartésien, cérébral, se reprochait soudain de trop gamberger.

Il faut que tu te calmes. Il se répétait cette injonction comme un mantra.

Attendre et voir ce qui allait éventuellement se passer. Il espérait un signe, un visage, une information, n’importe quoi qui puisse le mettre sur la voie. Arrivé à Buenos Aires, il s’était senti traqué. Maintenant qu’il avait repéré ces deux gars, voilà que l’un d’entre-deux se faisait happer par une bagnole sous ses yeux. Pas de bol pour le premier, mais il restait encore un SDF à cuisiner. Il lui fallait s’armer de patience. Il était aux premières loges. Il allait bien se produire quelque chose !

 

Par chance, la suite des évènements lui donna raison. Il n’eut même pas à attendre longtemps. Dès qu’il eut recouvré ses esprits et compris ce qui venait de se passer, le deuxième sans-abri repartit à tout vitesse vers l’entrée de la banque devant laquelle ses affaires étaient entreposées. Il fouilla longuement dans un caddie qui lui servait tout autant de garde-robes que de garde-manger, à en voir le bric-à-brac qu’il en sortait et qu’il éparpillait autour de lui en poussant des cris étouffés.

Manara ne saisit pas tout de suite ce que le gars cherchait et pourquoi il devait tout vider. Puis il comprit. Ce caddie n’était pas le sien. Il était en train de fouiller les affaires du mort. Espérait-il trouver un pécule caché ? Une bouteille ? Lorsqu’il eut pratiquement vidé l’intérieur du compartiment principal du chariot, il marqua une pause, se gratta la tignasse, puis s’attaqua aux poches latérales. À sa nervosité subite, son excitation aurait-il dû dire, Jorgi comprit qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait : il tenait ostensiblement un téléphone mobile dans sa main gauche, main droite sous le menton en signe d’intense réflexion. À l’évidence, s’il savait ce qu’il avait à faire, il hésitait à se lancer.

Le clochard resta immobile un long moment, un instant tétanisé, le moment suivant regardant anxieusement autour de lui, comme s’il craignait d’être surveillé, avant de s’immobiliser de nouveau. Puis il se décida et ses doigts s’affairèrent sur le clavier. Manara pensa qu’il avait appuyé sur la touche « BIS » et qu’il appelait un numéro que son compagnon d’infortune avait déjà utilisé. On lui avait répondu tout de suite et maintenant il parlait, il vociférait presque, même si ce qu’il disait restait incompréhensible, et il faisait de grands gestes avec les bras, montrant tantôt la direction de l’accident, tantôt les distributeurs de billets, le tout en faisant les cent pas spasmodiquement d’une démarche saccadée et incertaine. La mort de son compagnon avait estompé tous les effets de l’alcool.

Il raccrocha brusquement et se hâta de nouveau vers le caddie. Il transféra tout ce qu’il avait contenu dans un chariot de supermarché qui était déjà bien rempli. Il ramassa ses cartons et ses dernières affaires posées à même le sol et entassa le tout tant bien que mal. Manara saisit immédiatement que le gars n’avait pas l’intention de faire de vieux os dans le coin. Il allait partir lorsqu’il se ravisa et rebroussa chemin jusqu’à la banque. Il disparut un instant dans la pénombre du sas et en ressortit avec deux canettes de bière et une bouteille de vin entamée. Il siffla ce qui restait de la bouteille d’un trait, s’essuya barbe et moustache d’un revers de manche, souleva sa casquette et se gratta la tête. Il s’approcha alors d’un container à ordures ménagères et jeta la bouteille. Il farfouilla ensuite un moment dans sa poche avant d’en sortir un objet noir et à la surprise de Manara, il le jeta également dans la benne.

Le sang de Manara ne fit qu’un tour. Le gars venait de balancer le téléphone ! Ignorant qu’on l’observait, il se tourna vers son chariot maintenant chargé à bloc et, cahin-caha, il traversa l’Avenue Rivadavia avant de disparaître de la vue de Manara.

Nom de Dieu, il me faut ce téléphone…

Il n’eut pas le temps de penser à la façon de récupérer l’appareil. À peine avait-il marmonné ces mots entre ses mâchoires serrées qu’un crissement de pneus se fit entendre un peu plus bas dans l’avenue. Manara risqua une œillade vers l’origine du bruit. Un pick-up noir surdimensionné remontait Rivadavia à fond de train. Il grilla allègrement les feux avant de venir se planter devant le taxi. Ça sentait le malfrat m’as-tu-vu à des lieues à la ronde.

Deux gars descendirent, un grand type à la bedaine impressionnante de buveur de bière bavarois auquel il ne manquait que les fameux pantalons en cuir aux bretelles fleuries d’édelweiss, et un immense type filiforme qui devait allègrement dépasser le mètre quatre-vingt-quinze. Il était sec comme un coup de trique et ne devait pas faire plus de soixante-dix kilos malgré sa taille. Le futur obèse lâcha le volant et roula sa tripe jusqu’au taxi avec une aisance surprenante, suivi par le grand sec, son passager, et ils harcelèrent de questions le chauffeur complètement abasourdi. Sans lui laisser le temps de répondre, ils hurlaient, s’agitaient, allaient et venaient vers le corps du sans-abri avant de revenir vers le taxi à nouveau ou de ponctuer leur va-et-vient de quelques pas nerveux dans l’avenue comme s’il cherchait dans l’artère déserte une réponse à leurs questions. Systématiquement, ils revenaient tour à tour encore et encore vers la seule personne, Manara excepté, qui pouvait leur donner des explications.

Manara n’avait pas vraiment envie de descendre pour les aider dans leur quête de vérité. Il se dit qu’ils cherchaient l’autre sans-abri et qu’ils demandaient au taxi où le gars était passé. Le pauvre chauffeur était malheureusement dépassé par les évènements. Tout ce qu’il arrivait à faire était de tendre le bras en direction de la banque et d’agiter violemment sa tête de droite à gauche en signe d’incompréhension. Après le traumatisme de l’accident, il devait faire face à deux hommes en colère alors qu’il ne comprenait rien à ce qu’ils voulaient de lui.

Pendant que le gros déversait sa rage sur lui et hurlait des propos incompréhensibles, le maigrelet retourna au pick-up. Il se pencha par la portière ouverte et se redressa, un smartphone à la main. Il appela quelqu’un et Manara put assister à une nouvelle conversation téléphonique dont il ne percevait rien à part l’agitation croissante du gars dans la rue. On aurait dit une longue liane secouée par une tempête tropicale.

Finalement il se retourna et héla son acolyte. Ils repartaient. L’autre était encore en train de martyriser en vain le chauffeur de taxi qui, les mains tétanisées sur le volant, regardait devant lui d’un regard vide. Il était clair qu’il n’écoutait plus mais le gras du bide ne s’en était pas rendu compte. Il devait vraiment être meilleur en tortionnaire aviné qu’en psychologue au chevet des victimes de traumatismes. Plus le gros hurlait, plus le taxi était aux abonnés absents.

Finalement, le grand sec gueula un bon coup depuis le pick-up et l’adipeux accepta à contrecœur de lâcher le pauvre hère. Il recula, fit volte-face et contourna le taxi par l’arrière pour retourner à son char d’assaut urbain.

À ce moment-là la situation devint complètement surréaliste. Soudain sorti de sa torpeur, le chauffeur de taxi mit le contact, enclencha une vitesse – qui s’avéra être la marche arrière – et fonça sur son bourreau qui, bien qu’agile, n’eut pas le temps d’esquiver et se retrouva bras dessus, bras dessous avec le cadavre du clochard, après que le taxi lui eut roulé sur le ventre et la tête, avec le résultat que l’on peut imaginer.

On ne pouvait pas vraiment en vouloir à ce brave chauffeur de taxi à bout de nerfs. Le confinement et l’interdiction des déplacements, puis l’ubérisation croissante du métier, les courses volées par les collègues, et enfin cet accident avaient fini par l’user. Il avait perdu le contrôle et pété un câble au mauvais moment. Malheureusement, il avait fait une victime de trop. Si la mort du SDF n’avait pas vraiment affecté le grand maigre, la mort de son abondant compagnon lui fut beaucoup moins indifférente. Alors que Mario, soudain complètement conscient de la connerie qu’il venait de faire, embrayait pour descendre l’Avenue Rivadavia à contresens et s’enfuir, le malfrat survivant sortit du pick-up comme une flèche, calibre en main.

Malfrat survivant… Il fallait le dire vite. Malfrat toujours, mais survivant, hélas pour lui, cela ne dura pas. Certes, il tira sur Mario et à cette distance il n’avait aucune chance de le rater. Mais il ne put empêcher le chauffeur de faire sa troisième victime mortelle avec un simple taxi jaune et noir. Le coup de feu claqua. La tête de Mario partit vers l’arrière à l’impact puis il s’affaissa sur volant, crâne défoncé sur l’airbag qui ne lui était plus d’aucune utilité. Le taxi poursuivit sa course incontrôlable. Le grand échalas perdit brusquement de sa superbe lorsqu’il reçut le taxi en plein buffet. Le taxi le traîna sur toute la largeur de la route avant de finir sa course contre le trottoir. Quatre morts en une grosse demi-heure, pas mal.

Putain, quel massacre ! Pris de court, Manara manquait de vocabulaire pour décrire la scène qui venait de se dérouler devant lui.

Le plus incroyable, c’est qu’il n’y avait toujours pas un chat dans la rue, et pas le moindre flic. Jorgi se dit qu’il y réfléchirait plus tard. L’heure était à l’urgence, c’est à dire au téléphone. Il dévala les escaliers le plus discrètement possible. Après avoir observé la scène des « accidents » depuis la porte de l’immeuble, il traversa la rue et se dirigea vers la poubelle, qu’il renversa en la soutenant afin qu’elle ne fasse pas de bruit en touchant le sol. Plus il fouilla son contenu, retirant deux sacs, puis la bouteille de vin et enfin, il avait bien vu depuis son poste d’observation, un téléphone.

C’était un téléphone bas de gamme et assez ancien mais il était équipé d’un appareil photo. Il se tourna de nouveau vers le pick-up et prit plusieurs clichés, dont un avec le zoom rudimentaire dont disposait l’appareil. Il vérifia : on lisait parfaitement le numéro des plaques d’immatriculation. Une fois les photos prises, il vérifia la liste d’appels. Il n’y avait que deux numéros, dont l’un avait été appelé plusieurs fois de suite. Il vérifia que la liste était bien enregistrée sur l’appareil et non sur la carte SIM. Puis il ouvrit le combiné d’un glissement sec du pouce pour en extraire sortir la carte SIM et la batterie. Maintenant que le téléphone était dépiauté, il pouvait se déplacer sans laisser de trace électronique.

 

Grâce au téléphone et au numéro de plaques, Manara saurait bientôt qui le traquait. Et il finirait par savoir pourquoi… et comment mettre fin à cette histoire.

En revanche, Mario Cabral ne comprendrait jamais pourquoi une journée qui avait si bien commencé se terminait par un tel désastre. Saleté de taxi !